L’histoire de ma famille indienne est une histoire de pravasa, un mot qui signifie “l’exil” – mais aussi le départ, le voyage, l’émigration et l’immigration. Il y a un siècle, mes ancêtres ont quitté le Gujarat pour chercher fortune ailleurs, d’abord en Birmanie, puis à Bombay, à Singapour, à Mombasa et encore plus loin, jusqu’à Londres ou aux Etats-Unis. Le gouvernement indien nous confère donc le statut officiel de NRI – Non-Resident Indians, Indiens non résidents –, qu’il traduit en hindi par pravasi bharatiya, littéralement “exilés de l’Inde”. La diaspora compte quelque 30 millions de personnes et comprend aussi des citoyens d’origine indienne qui n’ont pas mis les pieds dans le pays depuis plusieurs générations. Depuis 2003, New Delhi honore les personnalités marquantes de sa diaspora avec une fête appelée Pravasi Bharatiya Divas, le jour des Indiens qui vivent hors de l’Inde. Le mal du pays, la nostalgie, qui confond souvent le regret de la jeunesse et la mélancolie pour le pays d’origine, est le sentiment par excellence du pravasi, l’exilé – une émotion que le gouvernement indien cherche sciemment à aviver parmi la diaspora, car plus cette population, surtout celle qui a choisi pour terre d’exil des pays prospères comme les Etats-Unis, l’Angleterre ou le Canada, s’enrichit, plus elle pourra ensuite investir en Inde, son pays d’origine. La prospérité de cette diaspora allant de pair avec son ascension politique, notamment aux Etats-Unis, New Delhi compte de plus en plus sur les Indo-Américains pour faire pression sur Washington concernant des dossiers communs, tel l’accord sur le nucléaire civil de 2008. Même les Indiens qui ne quittent l’Inde que provisoirement, laissant femmes et enfants au village pour travailler dur à Dubaï, par exemple, contribuent massivement à l’économie du pays en envoyant des sommes d’argent importantes à leur famille. Ainsi peut-on facilement distinguer en Inde ceux qui ont la chance d’avoir de la famille à l’étranger de ceux qui ne l’ont pas : la qualité de la maison, la présence ou non d’une voiture, les bijoux des femmes, le niveau d’éducation des enfants disent tout. Selon la Banque mondiale, la symbiose économique entre l’Inde et ses exilés a fait affluer en 2017 quelque 69 milliards de dollars dans le pays, faisant de l’Inde le champion mondial du transfert d’argent. Que le pravasi, l’exilé, le reste donc, tout en gardant suffisamment d’attaches vis-à-vis de son pays d’origine pour continuer à s’y investir.
Publié dans Courrier International le 17 juin 2010, Numéro 1024; et par L’Asiathèque, Paris, dans 80 mots de l’Inde en 2018.
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